Essai polyphonique et iconographique sous la direction d’Isabelle Brouard-Arends et Laurent Loty, Presses Universitaires de Rennes, 2007 ISBN 978-2-7535-0434-9, 200 pages, 25 ill, 15€ franco de port.

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La période de la Révolution française est un moment-clé de l’histoire des relations entre la scène théâtrale et la tribune politique, entre le texte de fiction et le texte de loi, entre les savoirs et pouvoirs de la littérature et ceux de la science, entre des discours engagés et des formes d’écriture minoritaires et apparemment désengagées qui sont autant de combats pour un féminisme et un humanisme encore et toujours à venir. Cet essai à plusieurs voix ne fait pas le constat de l’engagement de la littérature durant la période révolutionnaire, il s’interroge sur le changement des rythmes et des formes d’interaction entre les modes d’expression dits littéraires et les autres pratiques et discours publics. Il le fait en pleine conscience des paradoxes de l’anachronisme en histoire. D’un côté il faut oublier les significations mêmes des notions de « littérature » et d’« engagement » qui, en grande partie, se mettent précisément en place à la fin de la Révolution française. De l’autre, il faut prendre acte des enjeux toujours actuels d’une enquête historique. En l’occurrence, comment penser et pratiquer l’écriture, la politique, et leurs interactions, non pas tant après 1789, mais après 1989 ? Après le Bicentenaire de la prise de la Bastille qui est aussi le moment de la chute du Mur de Berlin.

Des auteurs de plusieurs générations et nationalités se donnent ici la liberté d’interroger, au-delà des frontières disciplinaires, les formes que prennent les relations entre ce qu’on appelle la « littérature » et l’« engagement ». En regard des textes, en écho ou parfois à contre-temps, un choix d’images esquisse une autre manière de porter la réflexion ou l’imagination sur ce passé d’où vient notre présent. L’ensemble constitue un essai polyphonique et iconographique qui, d’un texte (ou d’une image) à l’autre, ouvre des perspectives pour repenser, après 89, les pratiques et les idées mêmes de « littérature » et d’« engagement ».

Les auteurs : Serge Bianchi, Isabelle Brouard-Arends, Joël Castonguay-Bélanger, Yves Citton, Philippe Corno, Julia V. Douthwaite, Huguette Krief, Laurent Loty, Anne-Rozenn Morel, Martial Poirson.

Présence en filigrane de Rétif de la Bretonne, présentation de Laurent Loty

Rétif de la Bretonne n’est pas l’un des auteurs auxquels ce livre consacre une étude approfondie (comme Beffroy de Reigny, André Chénier, François de Neufchâteau, Olympes de Gouges, Lavoisier, Mercier, Constance Pipelet ou Germaine de Staël). Il est toutefois parmi les autres auteurs de la Révolution les plus cités, avec Beaumarchais et Marie-Joseph Chénier. Par sa singularité, il est peut-être surtout l’un de ceux qui éclairent le plus vivement un bon nombre de questionnements ouverts par cet essai polyphonique. Si bien que s’il devait un jour y avoir une suite à ce petit volume, Rétif devrait très certainement y avoir une place de choix. En attendant, il n’est pas étonnant que son intérêt l’ait fait réapparaître dans la sorte d’essai iconographique qui illustre les textes, ou parfois dialogue avec eux.

La table des matières qui suit donne une idée des échos possibles entre l’oeuvre de Rétif et les thèmes abordés.

Le livre s’ouvre sur cette question : « repenser la littérature et l’engagement après 89 », elle-même précédée d’une double image : la prise de la Bastille et la chute du Mur de Berlin. Mais avant ces « ouvertures », il y avait eu Rétif, en 1789 et en 1989. Car Les Nuits de Paris de la période révolutionnaire ont donné le ton à la journée d’étude qui a préparé cet essai polyphonique et iconographique, sous la forme d’une projection de l’adaptation télévisée des Nuits révolutionnaires par Charles Brabant, qui interroge les relations entre littérature et engagement à partir de 1789, … en 1989, quelques mois avant la chute du Mur.

Le théâtre de Rétif est bien sûr évoqué dans la première partie, qui aborde les relations entre la scène et la tribune. Le changement de rythme des interactions entre texte et événement est illustré par une horloge à cadran décimal. Une œuvre de Rétif aurait pu elle aussi évoquer cette modification du rythme de l’écriture et du temps, qui passe par l’aspiration des écrivains à rendre compte de l’événement et en même temps à en modifier le cours par l’éducation du public : il s’agit du texte que Rétif rédige durant le mois de juillet 1789, et qui constitue la première utopie d’anticipation de l’ère nouvelle ouverte par la Révolution : L’An deux-mille.

La deuxième partie s’ouvre sur la page de titre du texte que Rétif publie en 1789 : Le Thesmographe, ou idées d’un honnête-homme, sur un projet de règlement, proposé à toutes les Nations de l’Europe, pour opérer une Réforme générale des Loix. « La loi : un texte, une fiction, une croyance » : telle est la légende de cette image qui renvoie à la production juridique considérable de toute la période révolutionnaire. Auteur de fictions utopiques et juridiques, Rétif dévoile mieux que d’autres les relations intimes entre l’imagination politique, la croyance distanciée en la fiction, et le passage à la production et à l’application de textes juridiques. L’étude des textes de Rétif permettrait de dresser encore d’autres configurations que celles qui se dégagent de la troisième partie, quant aux rapports entre ce que l’on désigne habituellement par les termes de littérature, science et politique. Dans la réorganisation des discours et des frontières disciplinaires qui s’effectue à cette époque, les textes de Rétif apporteraient un éclairage d’autant plus vif que leur singularité révèle ce que d’autres textes plus ordinaires tendent à occulter. Ainsi de son autobiographie qui s’achève par une philosophie articulant Physique, Morale et Politique, l’extrême sensibilité rétivienne au temps humain l’incitant d’un même mouvement à produire une histoire du coeur humain, une histoire de la Révolution, et une histoire de la transformation du cosmos et des espèces. C’est Rétif qui a le mot de la fin de la dernière partie consacrée à des engagements en rupture, susceptibles, comme ce qu’on appelle désormais « la littérature », de produire des effets sur un lointain futur. La toute dernière image du livre donne en effet à voir, à lire, ces mots imprimés sur une page de titre des Posthumes : « Lettres du Tombeau, ou Les Posthumes. Première Partie ». Invitation à penser les effets possibles de la littérature, comme le suggère la légende (« Écrire : une action pour le futur ? »). Peut-être aussi incitation des auteurs de ce volume à publier un jour, avec un Rétif plus explicitement présent, une « seconde partie ».

Table des matières

Ouvertures
Repenser la littérature et l’engagement après 89 (Isabelle Brouard-Arends et Laurent Loty)

I. Changements de rythme. La scène et la tribune

Théâtre et engagement sur les scènes de l’an II (Serge Bianchi)

Intenables engagements dramatiques : Paméla entre révolution tranquille et scandale Martial Poirson.

II. La fiction et la loi. Influences

Modes d’engagement de l’utopie : le ludique et le juridique (Anne-Rozenn Morel)

Le divorce sur la scène révolutionnaire : un engagement politique ? (Philippe Corno)

III. La littérature et la science. Interférences

Le choix des sciences morales et politiques contre le désengagement des sciences expérimentales (Joël Castonguay-Bélanger)

La République a-t-elle besoin de savants ? Le jugement des romans (Julia V. Douthwaite)

IV. Engagements en rupture. La femme et le poète, pour une humanité future

Femmes dans l’agora révolutionnaire ou le deuil d’un engagement : Olympe de Gouges, Constance Pipelet, Germaine de Staël (Huguette Krief)

Gémir en silence. Puissance des engagements hétérogènes d’André Chénier (Yves Citton)

Laurent Loty, 35, rue Broca, 75005 Paris, tél. : 33.(0)1.43.36.71.05

* Université Rennes 2 – Département Lettres – Équipe d’accueil du Centre d’Étude des Littératures Anciennes et Modernes (CELAM)

* Société Française pour l’Histoire des Sciences de l’Homme (SFHSH) www.bium.univ-paris5.fr/sfhsh